Le saxophoniste, compositeur et arrangeur Tobias Hoffmann s'est bâti une réputation de compositeur/arrangeur mêlant habilement la tradition à une nouvelle approche de la musique de Big Band. Son récent album « Innuendo », sorti sur le label allemand Mons Records, met en valeur l'évolution de son talent. Après le succès de son album « Conspiracy » sorti en 2022, Hoffmann revient avec une ambitieuse collection de huit compositions originales qui mettent en valeur son évolution en tant qu'architecte musical. La chanson-titre de l'album, « Innuendo », qui a valu à Hoffmann le prix de la « Meilleure composition » dans la catégorie « Composition originale – Grand ensemble » aux 47e Downbeat Student Music Awards, donne le ton à l'ensemble de l'œuvre.
La double identité de Hoffmann, à la fois saxophoniste et compositeur/arrangeur, est évidente tout au long de l'album. Cette dualité lui permet de créer des morceaux qui sont non seulement techniquement impressionnants, mais aussi profondément expressifs et faciles à interpréter. Les notes de pochette du producteur et arrangeur Michael Abene, lauréat d'un Grammy, soulignent la maturité de l'écriture de Hoffmann, la décrivant comme « fraîche, excitante et nécessitant une écoute sérieuse ».
L'orchestre de jazz Tobias Hoffmann, composé de musiciens de Vienne, de Graz et d'Allemagne, fait preuve d'une cohésion qui trahit sa formation relativement récente. La capacité de l'ensemble à aborder les arrangements complexes de Hoffmann avec précision et sensibilité montre à la fois la qualité des musiciens et le talent de Hoffmann en tant que chef d'orchestre.
L'album s'ouvre avec le titre « Innuendo », un morceau qui rend hommage au légendaire groupe de rock Queen. La fascination d'Hoffmann pour les humeurs et les émotions changeantes de la composition originale de Queen se reflète dans sa propre interprétation. Le morceau comprend un solo de saxophone alto de Florian Trübsbach, qui constitue une excellente introduction à l'esthétique globale de l'album – un mélange de sonorité de big band traditionnelle et de techniques de composition contemporaines.
« Summer Solstice » vient ensuite, offrant un contraste avec les œuvres plus complexes de l'album. Enracinée dans le style traditionnel du big band, cette pièce porte néanmoins la voix compositionnelle distinctive de Hoffmann. Le solo de trombone de Simon Harrer ajoute de la profondeur et du caractère à la composition, démontrant la capacité de Hoffmann à écrire pour des voix individuelles au sein de l'ensemble.
L'album prend un tournant avec « No Way Back », une pièce complexe aux mesures mixtes qui a émergé d'une période difficile de la vie d'Hoffmann. Inspirée par des artistes comme Alex Sipiagin, Chris Potter et Dave Holland, cette composition canalise une énergie retrouvée à travers des rythmes difficiles et des structures harmoniques complexes. Les solos du trompettiste Gerhard Ornig et de la pianiste Viola Hammer naviguent dans les complexités de la pièce avec habileté et musicalité.
« Sanctuary » offre un moment d'introspection au milieu des morceaux les plus énergiques de l'album. Cette ballade profondément personnelle comprend un solo poignant de saxophone ténor de Martin Harms. Les éloges d'Abene pour ce morceau dans les notes de pochette sont bien mérités, car il met en valeur la capacité d'Hoffmann à créer des compositions émotionnellement résonnantes dans le format big band.
« Convictions » marque un tournant dans l'approche compositionnelle d'Hoffmann. Issue d'un exercice de Bob Brookmeyer qui limite le compositeur à l'utilisation des seules touches blanches du piano, cette pièce démontre comment les contraintes auto-imposées peuvent ouvrir de nouvelles possibilités créatives. Le solo de saxophone alto de Patrick Dunst illustre les nouvelles voies d'expression qui ont émergé de cette expérience compositionnelle.
Dans « Bipolarity », Hoffmann explore l'intersection entre la musique classique, le minimalisme et le jazz. La pièce est construite pour sonner comme un « solo de saxophone » arrangé, repoussant les limites de l'écriture traditionnelle pour big band. Le solo de trombone à pistons de Robert Bachner ajoute une couche d'intérêt timbral à cette composition déjà riche en textures.
« The Lake » est l'un des morceaux les plus atmosphériques de l'album. Inspiré par une matinée d'hiver sur le lac Attersee en Autriche, ce morceau démontre la capacité d'Hoffmann à traduire des impressions visuelles et émotionnelles en forme musicale. Les solos de Jakob Helling à la trompette et de Vilkka Wahl à la guitare contribuent à la nature évocatrice du morceau.
L'album se termine avec « Perseverance », l'une des compositions les plus ambitieuses d'Hoffmann à ce jour. Cette œuvre composée en continu se développe en continu plutôt que de s'appuyer sur des sections répétées, reflétant l'intérêt croissant d'Hoffmann pour les formes étendues. Les solos de Robert Unterköfler au saxophone ténor et de Florian Menzel à la trompette parcourent la structure complexe de la pièce avec aplomb.
Tout au long de « Innuendo », Hoffmann fait preuve d’une oreille attentive pour l’orchestration et d’une compréhension approfondie du format big band. Son écriture met les musiciens au défi tout en restant accessible aux auditeurs, trouvant un équilibre délicat entre complexité et écoute. Tout au long de l’album, les solistes sont à la hauteur, offrant des performances à la fois techniquement impressionnantes et émotionnellement engageantes.
L'un des points forts de l'album réside dans la diversité de ses ambiances et de ses styles. De la chanson-titre aux influences rock à l'introspective « Sanctuary » en passant par l'inspiration classique « Bipolarity », Hoffmann couvre un large éventail de territoires musicaux sans perdre la cohérence. Cette variété maintient l'auditeur en haleine tout au long de l'album, chaque morceau offrant de nouvelles surprises et perspectives.
Cette diversité présente cependant un défi : si les talents de composition et d’arrangement d’Hoffmann sont incontestablement impressionnants, il y a des moments où la complexité de l’écriture éclipse l’impact émotionnel de la musique. Certains auditeurs peuvent se retrouver à apprécier les aspects techniques des compositions plus qu’à s’y connecter à un niveau viscéral. Ces critiques mineures mises à part, « Innuendo » met en valeur l’évolution d’Hoffmann en tant que compositeur et arrangeur, démontrant une confiance accrue dans la manière d’aborder des formes complexes et une volonté de repousser les limites de l’écriture pour big band.
La qualité de production de l'album est excellente, avec un mix clair et équilibré qui permet aux subtilités des arrangements d'Hoffmann de transparaître. Chaque section du groupe est bien représentée dans le mix, et les solistes ont suffisamment d'espace pour s'exprimer sans éclipser l'ensemble.
Dans le contexte du jazz contemporain pour big band, « Innuendo » se distingue comme une œuvre d’une ambition et d’une réussite considérables. La volonté d’Hoffmann d’intégrer des influences extérieures à la sphère du jazz traditionnel – notamment le rock, la musique classique et le minimalisme – se traduit par une expérience d’écoute fraîche et engageante. Bien qu’elle ne soit peut-être pas révolutionnaire dans le contexte plus large de l’histoire du jazz, « Innuendo » établit certainement Tobias Hoffmann comme un compositeur et arrangeur à surveiller dans les années à venir. Sa capacité à mélanger tradition et innovation, associée à son oreille attentive pour l’orchestration et à son talent d’écriture pour solistes, laisse présager d’un brillant avenir dans le monde du jazz pour grands ensembles.
Pour les auditeurs intéressés par la musique contemporaine de big band qui dépasse les conventions tout en restant ancrée dans la tradition du jazz, « Innuendo » offre beaucoup à explorer et à apprécier. C'est un album qui récompense les écoutes répétées, révélant de nouvelles couches de complexité et de nuances à chaque écoute.
En conclusion, « Innuendo » représente une réussite significative pour Tobias Hoffmann et son Jazz Orchestra. L’album met en valeur le travail d’un artiste en pleine maturité qui n’a pas peur de prendre des risques et de repousser les limites. Alors que Hoffmann continue de développer sa voix en tant que compositeur et arrangeur, il sera intéressant de voir comment il s’appuie sur les fondations posées par cette sortie ambitieuse et réussie.
Liste des pistes :
1. Insinuation | 2. Solstice d'été | 3. Sans retour | 4. Sanctuaire | 5. Convictions | 6. Bipolarité | 7. Le lac | 8. Persévérance
S'aligner:
Instruments à vent
Florian Trübsbach – Saxophone alto, saxophone soprano, flûte et clarinette | Patrick Dunst – Saxophone alto, saxophone soprano, flûte et clarinette | Robert Unterköfler – Saxophone ténor, saxophone soprano, flûte et clarinette | Martin Harms – Saxophone ténor, clarinette basse, flûte et clarinette | Jonas Brinckmann Saxophone baryton et clarinette basse
Trompettes et flugelhorns
Maximilien Seibert | Sébastien Burneci | Florian Menzel | Gerhard Ornig | Jakob Helling
Trombones
Simon Harrer – Trombone | Robert Bachner -Trombone et trombone à pistons | Daniel Holzleitner – Trombone | Johannes Oppel – Trombone basse et tuba
Section rythmique
Vilkka Wahl – Guitare | Viola Hammer – Piano et synthétiseur | Ivar Roban Krizic – Contrebasse | Reinhold Schmölzer – Batterie et électronique
Conducteur – Tobias Hoffmann
Date de sortie : 20 septembre 2024
Format : CD | Streaming
Label: Mons Records