Au cœur du Gers, un village de quelques centaines d’âmes a fait un choix simple et radical. Depuis dix ans, il vit sans supermarché, en misant sur le lien et la débrouille. À première vue, cela semblait une folie rurale. Aujourd’hui, c’est devenu une force tranquille.
Ici, les habitudes ont glissé sans bruit vers des gestes plus simples. On planifie, on se parle, on s’entraide. Les rues sentent le pain le samedi matin, la halle bourdonne d’un brouhaha heureux, les enfants filent entre les étals avec des fraises au coin des lèvres.
« On a retrouvé un rythme humain », lâche Jacqueline, 72 ans, panier en osier au bras. « On achète moins, mais on profite plus. »
Le pari d’une autonomie douce
Le village s’est appuyé sur des outils modestes et très concrets. Une AMAP anime l’année, une épicerie participative tourne avec des bénévoles, un marché hebdomadaire réunit producteurs et gourmands. Quelques artisans complètent la palette: fournil, boucher, atelier de pâtes fraîches.
Quand une famille a besoin d’un produit introuvable, une commande groupée part chez un grossiste local. Les retraités font la tournée pain-lait-presse pour ceux qui ne peuvent pas sortir. Les lycéens organisent le covoiturage du mercredi pour la médiathèque intercommunale.
« On n’a pas tout, tout le temps », sourit Malik, maraîcher. « Mais on a ce qu’il faut, avec des visages qu’on connaît. » L’argument est simple et désarmant: moins d’options, plus de sens.
Ce qui a changé au quotidien
- Des courses plus courtes, mais plus fréquentes, qui rythment la semaine et favorisent les rencontres.
- Un panier plus sain, car l’offre est saisonnière et limite les achats impulsifs.
- Des prix plus lisibles, avec une marge transparente pour les producteurs.
- Moins de déchets: bocaux consignés, sacs réutilisables, compost partagé.
- Une mobilité réinventée: marche, vélo, et covoiturage structuré par un calendrier communal.
Comparatif: ici et ailleurs
| Indicateur | Sans supermarché (le village) | Avec supermarché (commune voisine) |
|---|---|---|
| Part des dépenses restant localement | Élevée (~70 %) | Faible (~25-30 %) |
| Distance hebdo pour les courses | Faible (à pied/vélo) | Moyenne (10-25 km) |
| Gaspillage alimentaire | Bas (planification, vrac) | Plus élevé (promos, formats) |
| Prix panier de base | Stable (marge fixe) | Variable (promos/pics) |
| Temps social lors des achats | Long (marché/épicerie) | Court (linéaires, caisse) |
| Empreinte carbone des courses | Réduite (circuits courts) | Plus forte (transport, froid) |
Ce tableau raconte une histoire: ici, l’euro circule et revient. Là-bas, il file et disparaît. Ici, l’on gagne en temps partagé ce qu’on perd en commodité. Là-bas, on gagne en rapidité, on perd en lien.
Des limites assumées
Tout n’est pas rose. L’offre reste resserrée sur certains postes: produits exotiques, articles spécialisés, électroménager. Le village a donc créé une bibliothèque d’objets: perceuse, appareil à raclette, remorque à prêt. Un samedi par mois, le repair café rallonge la vie des machines.
Le modèle tient grâce à des épaules bénévoles, parfois fatiguées. Pour éviter l’essoufflement, la commune a mis en place des plannings tournants et des formations éclair: tenir la caisse, gérer le stock, organiser une livraison. Les jeunes prennent leur place, surtout quand il s’agit de numérique: application de commandes, tableau d’astreintes, alertes covoit.
Et quand il faut aller plus loin? Une navette hebdomadaire permet les achats spécifiques en ville, mutualisant kilomètres et carburant. Personne n’est laissé au bord de la route.
« On a appris à dire non, puis à dire comment », résume Lucie, adjointe aux affaires sociales. « Non à la facilité qui isole, oui au collectif qui organise. »
Un laboratoire rural
Ce coin de Gascogne n’a pas la prétention de donner des leçons. Il propose un scénario: celui d’une souveraineté du quotidien, pragmatique et joyeuse. Face à l’inflation, la sobriété s’est révélée un levier de dignité plutôt qu’un renoncement. Face aux crises, la proximité est devenue une assurance mutuelle.
Le maire, moustache sage et voix posée, résume en une image: « Un village, c’est comme un potager. Si on l’arrose avec de l’eau venue de loin, il pousse. Si on l’arrose avec nos soins, il nourrit. » La phrase claque comme une leçon de bon sens, mais sans morale.
Dans la halle, on paie en espèces, en carte, parfois en temps. Les ados s’improvisent coursiers pour les voisins, et repartent avec une tarte en récompense. Les nouveaux venus s’étonnent de la lenteur des files, puis finissent par ralentir leur cœur.
Dix ans ont passé, et l’expérience tient par la qualité du lien autant que par la logistique. Ce n’est pas une utopie de cartes postales, c’est une routine organisée qui a choisi sa boussole: moins d’objets, plus de relations. Ici, l’on ne remplit pas seulement des placards. On remplit des vies.
